Déplacements domicile-travail : les derniers chiffres de l’Insee

Comme chaque année en cette saison, l’Insee fait paraitre les résultats détaillés du dernier recensement. Et comme chaque année (voir ci-dessous pour 2020 et 2021), je vous propose de regarder l’évolution des modes utilisés pour les déplacements domicile-travail.

En effet, dans le cadre du recensement, l’Insee demande à la population son « mode de déplacement principal pour se rendre au travail ». Les données qui en résultent sont particulièrement intéressantes pour analyser les mobilités car elles couvrent toute la France et sont mises à jour chaque année. La différenciation, depuis 2015, des vélos (qui étaient auparavant regroupés avec les deux-roues motorisés) a fait le bonheur de ceux qui s’intéressent à ce mode, car, contrairement aux transports en commun par exemple, il existe peu de méthodes fiables et comparables pour mesurer la pratique du vélo. Les données Insee sont ainsi un des meilleurs moyens de comparer plusieurs territoires entre eux ou de suivre une évolution dans le temps. Cependant, elles ne sont pas sans comporter des biais, qu’il faut connaitre avant de les manipuler (et de comparer Strasbourg et Grenoble).

Des données à manipuler avec précaution

Les résultats du recensement d’une année donnée paraissent après une période de 3 ans. Par exemple, j’analyse dans cet article les données 2020, parues en 2023. En effet, l’Insee enquête chaque année en janvier-février une partie seulement de la population française. La méthode est différente selon la taille de la commune :

  • Les communes de moins de 10 000 habitants sont enquêtés une fois tous les cinq ans,
  • Pour les communes de plus de 10 000 habitants, l’Insee pratique un recensement « glissant » : une enquête partielle est menée chaque année sur un échantillon de la population représentant 20% de la ville. À l’issue de 5 ans, les données ont été mises à jour sur l’ensemble de la commune.

Ainsi, le « millésime » 2017, le premier qui nous permettait d’avoir des données sur l’usage du vélo, était construit à partir des enquêtes menées entre 2015 et 2019. Le millésime 2020, lui, est construit à partir des enquêtes menées entre 2017 et 2022 (il n’y a pas eu d’enquête en 2021 à cause du covid). Il comprend donc trois années communes avec le 2017, ce qui veut dire qu’on ne peut pas en tirer des conclusions solides (l’Insee recommande d’ailleurs de comparer les résultats avec au moins 5 ans d’écart, et même 6 ans avec la crise sanitaire). Néanmoins, certaines tendances qui apparaissent à la lecture des données sont sans équivoque et corrélées par d’autres moyens de mesure des déplacements (enquêtes mobilité, compteurs…). Ce millésime 2020 est particulièrement intéressant parce que c’est le premier à intégrer les évolutions liées à la crise sanitaire.

Quelques biais à garder en tête

  • Ces chiffres ne parlent que du domicile-travail, et donc pas de tous les autres déplacements. Cela exclut de fait tout une partie de la population : scolaires, étudiants, inactifs, chômeurs, retraités. Or on sait qu’en France, le vélo est plus utilisé pour se rendre au travail que pour d’autres motifs (achats, école…). De la même façon, la marche est beaucoup moins utilisée pour le domicile-travail que pour d’autres types de déplacements.
  • Ce « mode principal » déclaré simplifie la réalité : dans les faits, certaines personnes utilisent plusieurs modes pour se rendre au travail, soit de façon combinée (intermodalité) soit en fonction du jour de la semaine. Le vélo étant un mode plutôt valorisant, les chiffres déclarés peuvent être légèrement supérieurs à l’utilisation réelle.
  • L’Insee avertit également que ces résultats restent peu fiables sur les petits effectifs (moins de 500 personnes)
  • Enfin, le résultat dépend souvent de l’échelle à laquelle on regarde ; par exemple, le vélo est plus utilisé dans la commune de Grenoble que dans celle de Strasbourg, mais au niveau métropolitain ou de l’agglomération, c’est Strasbourg qui repasse devant. Cela s’explique notamment par le fait que la commune de Grenoble est plus petite que celle de Strasbourg par rapport à son agglomération (voir cartes ci-dessous).

Principaux enseignements

À l’échelle française, une progression sensible du vélo

À l’échelle nationale, le vélo est en forte progression : de 2,2% des déplacements domicile-travail en 2017, il passe à 2,7% en 2020, soit une progression de 0,5 point ou +21%. Si sa part reste modeste, sa progression se fait principalement aux dépens de la voiture, dont la part baisse : 73,6% en 2017, 73,3% en 2020. Au vu de ces chiffres, on serait bien en peine de parler de vélorution, mais on peut considérer que le pays va dans le bon sens.

Quand on regarde dans le détail par grandes catégories de territoires (j’ai utilisé la catégorisation en aires d’attractions des villes de l’Insee), on remarque cependant que cette hausse est très localisée sur certains territoires : les communes-centres des grandes aires d’attraction (Paris compris) connaissent une hausse impressionnante de 1,8 point sur les 3 ans, et des hausses notables sont également enregistrées dans les centres des aires d’attraction intermédiaire (plus de 200 000 habitants), ainsi que dans les autres communes des grands et moyens pôles urbains.

Au-delà de ces territoires (qui représentent près de 25 millions d’habitants), la hausse de la pratique du vélo est beaucoup plus timide : si plus aucun territoire n’est en baisse (rappelons que la part du vélo était beaucoup plus élevée dans les territoires périurbains et ruraux il y a seulement 30 ans), on peine à être à la hauteur des enjeux.

L’évolution par département permet de préciser géographiquement ces dynamiques : sur les 15 départements qui ont connu la plus forte augmentation de la pratique du vélo, 4 se situent en Île-de-France (Paris et la petite couronne, où la progression est exceptionnelle à la suite des grèves de 2019 et de la crise sanitaire), et 8 comportent une grande métropole. Seuls trois d’entre eux permettent de sortir des clichés du vélo (et encore, pas totalement) : la Charente-Maritime, grâce à la dynamique exceptionnelle de La Rochelle, la Haute-Savoie (de belles évolutions à Annecy et dans la banlieue genevoise), et les Hautes-Alpes, seul département réellement rural de ce classement, mais dont la hausse, bien qu’impressionnante en pourcentage, est faible en valeur (300 personnes) et seulement dans la moyenne française, signe que l’évolution de 0,5 points au niveau national est réellement tirée par un petit nombre de territoires.

À l’autre bout du classement, seuls 5 départements voient la part du vélo diminuer légèrement (encore une fois le signe que la hausse de l’usage, bien que timide, touche une grande majorité du territoire national). Il s’agit de départements du quart Nord-Est de la France, ainsi que deux collectivités d’outre-mer : la Martinique et la Guyane, qui perd ainsi sa place sur le podium des départements les plus cyclistes de France.

Top 10 des départements les plus cyclistes en 2017 et 2020

De fortes progressions dans les agglomérations

Si l’on considère maintenant les EPCI, principal échelon de mise en œuvre des politiques cyclables, on perçoit la réelle dimension de progressions qui transforment très rapidement certains territoires. La compétition étant féroce, le classement évolue assez peu entre 2017 et 2020 : le Grand Paris dépasse la Métropole de Lille grâce à une progression de +39%, de loin supérieure au reste des grandes métropoles, qui se situent entre 30% (Montpellier) et 13% (Toulon, Strasbourg).

Si on regarde en nombre de points, les métropoles ou la part était la plus haute sont celles qui progressent le plus vite : Strasbourg est première avec 1,6 points, tandis que Marseille, malgré une progression relative de +25%, ne gagne que 0,3 point. Toutes les métropoles voient la part de la voiture diminuer ou stagner, la palme revenant à celles qui arrivent à développer à la fois le vélo et les transports publics : Bordeaux (-2,1 points pour la voiture), Nantes (-1,9 point) ou Lyon (-1,7 point).

Classement des principales métropoles en 2017 et 2020

Parmi les agglomérations de taille intermédiaire (entre 100 000 et 440 000 pour l’EPCI), la situation est plus contrastées mais on note de très belles progressions, notamment celle de la CA de La Rochelle qui arrache la première place à Colmar Agglomération avec une progression impressionnante, comparable à celles observées dans les grandes métropoles (+23%, +1,4 point). À l’autre bout du classement, on retrouve des communautés d’agglomération d’outre-mer (Martinique, Réunion) ou de la couronne de la région parisienne (Roissy, Dreux).

Les 5 EPCI intermédiaires (100 000 à 440 000 habitants) les plus cyclistes en 2017 et 2020

Pour cette catégorie, voici le top 3 des plus grandes progressions en points :

  • CA de La Rochelle : +1,4 point
  • Dijon Métropole : +1 point
  • CA de la Région Nazairienne et de l’Estuaire : +1 point

et en pourcentage :

  • CA Dracénie Provence Verdon Agglomération : +67,2%
  • CA du Boulonnais : +55,7%
  • CA du Pays de Grasse : +53,7%

Parce qu’on peut aussi faire du vélo dans des territoires moins denses et moins peuplés, le classement des intercommunalités de moins de 100 000 habitants montre encore une fois de belles performance. Si le classement faisait la part belle à la Guyane (en perte de vitesse, comme on l’a vu) et aux îles de l’Atlantique en 2017, la CC du Diois, dans la Drôme, vient questionner cette hégémonie en 2020. En queue de classement, on retrouve encore une fois des territoires insulaires ou très ruraux.

Les 5 EPCI de moins de 100 000 habitants) les plus cyclistes en 2017 et 2020

Le Diois (+1,9 point), Belle-Île-en-Mer (+1,6 point) ou encore le Pays d’Issoudun (+1,4 point) réalisent ici les plus belles progressions en points, les progressions en pourcentage manquant de fiabilité pour être données ici.

Des données également disponibles à l’échelle communale

Bien qu’elle ne soit pas forcément la plus pertinente pour analyser les mobilités, l’échelle de la commune est souvent celle qui cristallise le plus les attentions, car c’est la plus identifiée par le grand public. C’est par exemple l’échelle choisie par le Baromètre des Villes Cyclables de la FUB. J’ai d’ailleurs choisi de retenir leur catégorisation pour différencier les grandes villes des villes moyennes ou des communes de banlieue.

Parmi les grandes villes, on observe encore une fois des évolutions intéressantes. La part du vélo est en augmentation dans chacune des 37 villes de plus de 100 000 habitants, à des degrés divers :

  • Grenoble prend de l’avance sur Strasbourg et confirme sa première place en tutoyant les 20% (même si on a vu qu’à l’échelle de l’agglo, c’est Strasbourg qui l’emporte grâce à son avance historique et sa politique très volontariste sur l’ensemble de la Métropole)
  • Bordeaux est la ville qui gagne le plus de points (+2,5) et conforte sa position sur le podium. Elle est suivie de près par Rennes et Grenoble (également à +2,5 points).
  • 4 grandes villes (Rennes, Nantes, Lyon et Toulouse) dépassent les 10% de part modale sur le domicile-travail. Certes, on ne parle là que des actifs en emploi, mais 10% d’actifs à vélo, cela représente un poids symbolique non négligeable et le signe que, dans ces villes, un palier a été franchi vers la démocratisation du vélo.
  • Des politiques particulièrement volontaristes à Rennes, Montpellier, Paris, se traduisent par des résultats très concrets au classement, qui ne sont pas sans rappeler ceux du baromètre.
  • En bas de tableau, des évolutions certes moins impressionnantes mais tout de même notables au regard du point de départ : Limoges (+37%), Saint-Étienne (+36%) ou Marseille (+30%) font partie des 5 communes qui progressent le plus en pourcentage, avec Paris (+38%) et Montpellier (+27%). Brest est 7e (effet Schneider ?).
Classement des grandes villes de France en 2017 et 2020

Les villes moyennes ne sont pas en reste : on retrouve dans le Top 10 des noms connus, avec des territoires historiques du vélo comme l’Alsace ou la Guyane, qui sont néanmoins parfois dépassés par des dynamiques comme celles de La Rochelle ou Chambéry (mais ne sous-estimez pas Kourou !)

Top 10 des villes moyennes de France en 2017 et 2020

Les meilleures progressions enregistrées sont, en nombre de points, Epernay (qui double sa part modale en passant de 2,4% à 5,2%, soit +2,8 points, quelqu’un connait la recette de leur potion magique ?), La Rochelle (+2,6 points) et Annemasse (1,6 point).

En banlieue, on retrouve sans surprise des communes issues des agglomérations cyclables stars, de toutes tailles et y compris à l’international : Grenoble (La Tronche, Fontaine, Meylan, Saint-Martin-d’Hères, Saint-Martin-le-Vinoux), Strasbourg (Schiltigheim, Bischheim, Eckbolsheim), Bordeaux (Le Bouscat, Talence), Bâle (Huningue, Village-Neuf), Chambéry (Cognin), Genève (Ambilly). Un nombre croissant de ces communes dépasse les 10% de part modale.

Top 10 des communes de banlieues de France en 2017 et 2020

Les records de progression pour les communes de banlieue sont enregistrés dans des communes de petite taille (moins de 5000 habitants), qui ne sont donc recensées que tous les 5 ans :

  • Ambilly (+5,6pts pour cette petite commune de Haute-Savoie)
  • Aytré (+5,5pts, cette fois-ci on est en banlieue de La Rochelle)
  • Prévessin-Moëns (+5,4pts en banlieue de Genève)

Si l’on s’en tient à des communes de plus de 10 000 habitants (recensées annuellement), les progressions restent impressionnantes. Voici les 3 premières :

  • Ostwald (Strasbourg) : +2,8 points
  • Schiltigheim (Strasbourg) : +2,6 points
  • Pantin (Paris) : +2,5 points

Les records d’évolutions en pourcentage sont enregistrés dans de plus petites communes encore (ou des communes avec très peu de cyclistes) et sont moins statistiquement fiables. Notons cependant des évolutions impressionnantes en banlieue parisienne : +94% à Puteaux, +93% à Sartrouville, +84% aux Lilas ou au Pré-Saint-Gervais. On parle là de communes qui ont doublé leur part modale en 3 ans.

Pour les communes de plus petites tailles, l’échelle communale n’est en général pas la bonne échelle pour les analyser, il vaut mieux regarder à l’échelle de l’intercommunalité. On peut cependant relever les curiosités habituelles que sont les parts modales de près de 40 à 50% dans certaines îles de la côte Ouest comme l’île d’Aix ou de Bréhat, en faisant, loin devant Grenoble, les communes les plus cyclistes de France.

Comment obtenir ces données

Comme on le voit, les données du recensement Insee sont utiles pour mieux connaître les pratiques de mobilité sur votre territoire, notamment lorsque celui-ci manque d’autres outils (enquêtes mobilité…), à la condition d’utiliser les pincettes nécessaires.

Si vous souhaitez obtenir des chiffres pour un ou deux territoires (commune, intercommunalité, département ou tout autre unité statistique), alors le plus simple est sans doute d’aller récupérer leur fiche « NAV2B » à cette adresse (on peut, soit consulter directement les données en suivant le lien, soit télécharger le petit tableur généré) :

Pour visualiser ces données en quelques clics, l’outil de représentation cartographique des données de l’Insee est également pratique :

Mais si vous souhaitez faire vos propres analyses à partir d’un tableau Excel hyper complet, alors les données qui vous intéressent sont dans la base « Caractéristiques de l’emploi en 2020 » (ici pour les communes) :

Pour aller plus loin

Cet article, bien que beaucoup trop long, n’offre qu’un aperçu des pratiques et tendances observables grâce à ce jeu de données. Il y a deux ans, Mathieu Chassignet avait par exemple fait un article qui donnait un panorama plus large de l’ensemble des modes de transport. Il sera nécessaire d’attendre 2026 (et le millésime 2023) pour pouvoir avoir des évolutions plus solides par rapport à 2017.

Retrouvez également mes analyses pour les millésimes 2017 et 2018 (pas d’analyse des résultats 2019 car, sans enquête de recensement 2021, ils n’amenaient pas d’évolution par rapport à 2018) :

J’avais également fait pour ma thèse un cartogramme à partir de ces données, qui serait surement à mettre à jour :

Merci de votre lecture, n’hésitez pas à me faire un retour sur cet article (c’est nouveau pour moi !) et à me demander des informations complémentaires si vous avez des difficultés à exploiter ces données.

6 réflexions sur “Déplacements domicile-travail : les derniers chiffres de l’Insee

  1. Le même exercice pour la mobilité piétonne serait instructif. Je n’ai pas encore trouvé le link de l’INSEE pour 2022 pour le faire. A priori, pour les courts trajets de moins de 5km, l’avantage reste à la marche à pied. Cela mérite d’accorder le forfait mobilité durable à ces personnes

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    1. Bonjour,

      Si vous le faites, je serai curieux de lire le résultat ! Mais sur la marche à pied, les données Insee sont à prendre avec encore plus de pincettes que pour les autres modes : la marche est beaucoup moins utilisée pour le domicile-travail que pour d’autres usages. De ce que j’ai pu voir, ça donne des chiffres beaucoup plus bas que si on regarde l’ensemble des déplacements avec les enquêtes mobilité.

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      1. Cela semble contradictoire avec deux récentes enquêtes que je vais exploiter car l’association prépare un plaidoyer pour que les salariés se rendant à pied à leur travail bénéficie du forfait mobilité durable.

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